Gestes d'Armorique - Les trois souverains

Gestes d’Armorique

Les trois souverains

Un lexique est publié en fin d’ouvrage pour les quelques mots en vieux français et en breton qui figurent dans cet ouvrage, par ailleurs compréhensibles sans lexique.

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« Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à l’aide de procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, personnels ou non, tissus de la même matière que l’Histoire. Tout autant que La guerre et la Paix, l’œuvre de Proust est la reconstitution d’un passé

Le roman historique de 1830 verse, il est vrai, dans le mélo et le feuilleton de cape et d’épée ; pas plus que la sublime Duchesse de Langeais ou l’étonnante Fille aux yeux d’or, Flaubert reconstruit laborieusement le palais d’Hamilcar à l’aide de centaines de petits détails ; c’est de la même façon qu’il procède pour Yonville. De notre temps, le roman historique, ou ce que, par commodité, on consent à nommer tel, ne peut être que plongée dans un temps retrouvé, prise de possession d’un monde intérieur. »

Marguerite Yourcenar.

Les mémoires d’Hadrien.

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Gestes d’Armorique

Les trois souverains

[…] […}Un matin, à l’anjorner, je décidais de chevaucher seul sur un palefroi, car mon écuyer dormait tout son saoul, et je n’avais point désiré le rendre à mon service ; je n’étais point habitué encore à avoir écuyer. J’avais, à s’t’eure, parcouru deux lieues à force forcée, et je décidais de rendre son pas à ma monture en cheminant à pied à son côté. Au détour de mon adrece, j’aperçus un homme dont palefroi broutait à quelques pas, l’homme adossé à un arbre, semblait chanter le latin aux oiseaux. Il se tourna en direction du bruit de sabots que faisait mon palefroi.

– Eh bien, messire Armel ! Foutredieu si je pensais à vous voir de mes yeux depuis Vézelay ! Mille Sarrazins seraient embrochés de votre épée que je ne serai pas plus en deportement de vous revoir !

Richard s’était dressé d’un bond et m’avait soulevé comme fétu pour me brasser, sans faire de manières. Me reposant, il poursuivit.

– Buvons deux ou trois bechis de ce vin de mon cousin Tancrède. Il est de bonne bouche et c’est lui qui régale !

– Sire Richard, dis-je, que Dieu vous garde en Son bon jour ! C’est honneur pour moi de vous rendre enfin mille mercis pour les présents, écuyer et palefroi que vous m’avez fait porter.

– Foutrediable, brisons là !

Nous étions assis adossés à cet arbre, et buvant le vin du cousin du roi, à contempler au loin cette mer si calme. Seuls les oiseaux nous tenaient compagnie de leurs doux chants. Richard rompit alors le calme.

– Il me vient en tête une pensée qui me trotte depuis fort long temps déjà ; lorsque j’étais à reviser la cité de Dinan, et que j’avais lancé défi des Sept chevaliers. Vous-en souvient-il ? Le chevalier Dolan était venu me mander faveur.

Icelui voulait croiser le fer avec vous. Il vous a mis genoux en terre, mais vous avait épargné une grave épreuve le temps du combat. Je connais le bougre, toujours prompt à querelles, au sang chaud, vif à l’assaut. Il aurait pu vous mettre à sang au premier coup, malgré les règles de haute noblesse du combat des Sept chevaliers. Il ne le fit point. Tourneham a observé et m’a clabaudé que, depuis notre encontre en Vézelay, Dolan vous battait froid et chantait le latin à tous les oiseaux que Dieu fait depuis la Création, lorsque vous arrivez à portée. Seriez-vous à l’origine de querelles ? Nous partons en guerre, mon galet, j’entends de mes vassaux qu’ils vident querelles avant qu’ils aient posé pied en Terre sainte !

– Roi Richard, dis-je, jamais de ma vie je n’ai vu ce brave capitaine avant tournoi de Dinan. Son visage est caché par ce masque de lépreux dès l’anjorner faut-il croire, jusqu’à vesprée. Ne le porte-t-il pas dans son châlit et lorsqu’il trousse une pucelle ? Le roi Richard partit d’un rire qui dura tant et tant que je pensais qu’il allait finir par trépasser. Mais il se reprit vivement.

– Voilà qui est bel et bien clabaudé, mon bon ami ! Et foutredieu si nous n’avons pas à nous occuper. Voulez-vous me tenir compagnie sur palefroi tout le long de cette mer Méditerranée, si chaude, même en ce mois ?

– C’est honneur et je me joins à vous, mais roi Richard, n’est-ce pas imprudence que chevaucher sans être ceint ? Quand bien nous sommes deux, si nous croisons ribauds, nous pouvons être trucidés après que moult coups auront été portés à nos corps défendant.

Richard eut un nouvel éclat de rire.

– Capitaine ne suffirait-il point seul à assurer la garde du roi ? Mais si je vous querelle, ce n’est point par mécontentement ; je ne vois là que tendre amitié de vous en soucier !

Puis il s’était emparé de son olifant et souffla dedans une seule fois. C’est alors que débouchèrent dix chevaliers sur palefrois, dont un portait l’oriflamme du Lion. Avec Richard nous avions corsee deux fois encore, mais nous avions été escortés. J’aurais aimé croiser le chevalier Dolan. J’appris de la bouche de Tourneham qu’icelui avait été envoyé en ambassadement auprès du roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, désormais en sa manantie de Saint-Jean d’Acre, sur Legation du roi Richard dont j’ignorais la teneur d’icelle. Mais lors de la dernière corsee, quelle ne fut pas ma surprise de voir se joindre à nous le roi Philippe, vêtu en prud’homme, suivi de cinq chevaliers, tous habillés de robes simples, sans haubert, sans heaume.

Le palis des Francs était constamment empli du bruissement des querelles des deux rois. Philippe était arrivé sur un seul cogue, une semaine avant que les nôtres ne débarquassent en terre de Sicile. Notre palis était posé hors les murs, au château de Mategrifon. La merdaille anglaise, dès lors, n’avait eu de cesse de piller la campagne et violer pucelles.

Philippe avait moult querelles d’ordre matrimonial à l’encontre de Richard. Icelui n’avait pas encore pris en épousailles, Adèle, sœur de roi franc, issue des secondes épousailles du roi Louis et de la reine Constance. Mais il serait oiseux de donner moult raisons qui finiront par conduire les rois à signer un traité dans la cité de Messine avant le départ de Philippe pour la Terre sainte en ce début de printemps. Richard leva palis un peu plus tard, au début de l’an nouveau. Il était vraiment heureux que nous partions sur nos cogues. De trop long temps, chevaliers et merdaille en armes étaient apaillardis. Les querelles pour une belle, un jeu de dés, une lance troquée amenaient à des combats entre chevaliers ou baron, où algarade se vidait sur-le-champ. Ainsi, le prévôt n’était jamais désœuvré. Des arbres étaient régulièrement fleuris de moult hommes d’armes pendus pour avoir abusé de trop d’hypocras, laissant au loin, des veuves, des pucellettes et des aotred orphelins qui pensaient que leurs tadoù se couvraient de gloire sur la terre de notre Seigneur. Faisant suite à une de ces disputes d’hommes ivres, Thomas, mon écuyer trépassa dans une rixe où l’enjeu était un coup aux dés que mon Thomas avait contesté. Son complice au jeu en avait pris ombrage et l’avait giflé. L’affaire eut suite sur le pré, et Thomas en mourut, percé. J’avais été fort marri tant ce damelot était bon serviteur d’un maître qui ne lui demandait que peu. Le grand sénéchal avait pris langue avec moi pour me fournir un autre écuyer. Je lui avais rendu mercis, mais préférais décider par moi-même. Mon choix se porta sur un pastoureau de Sicile qui m’avait effrontément défié, lors d’une corsee où j’avais posé pieds pour quérir icelui alors que je cherchais mon adrece. Il m’avait provoqué à bander l’arc. Ce damelot-là me battit par trois fois. Je l’avais pris à mon service, après avoir versé quelques espèces en marcs d’argent à son tad, et l’assurer que ce sauvageon serait en totale protection à mon service. Tiburce, puisque tel était son nom, s’était vite accoutumé aux faits et coutumes des Francs et Bretons, et jamais je n’eus à me plaindre de son service, même s’il arrivait que petits matins soient douloureux à la tâche, ses nuitées ayant été jours !

Hélas ! pour l’ost royal de Richard, nous ne devions pas faire route pour Saint-Jean d’Acre, tant la mer s’était liguée contre nous, pauvres pécheurs. Les cogues furent balancés tantôt à destre, tantôt à senestre. Nous avions perdu quelques-unes d’icelles avec leurs occupants qui périrent ainsi corps et âme dans cette Méditerranée cruelle aux hommes.

Richard nous mena donc dans l’île de Chypre, en ce mois de mai, après que mesniee de Saladin eut attaqué deux cogues en perdition et trucidé tous ses occupants. Le sultan avait été informé par le roi Isaac Doukas Comnène qui vouait haine aux chrétiens.

Richard, dans tout son courroux, défia Comnène et le battit en le retenant prisonnier. Notre séjour dans cette île ne tarda plus ; après un court temps, nous arrivions, enfin, grâce à Dieu, devant Acre[…}

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