Un lexique est publié en fin d’ouvrage pour les quelques mots en vieux français et en breton qui figurent dans cet ouvrage, par ailleurs compréhensibles sans lexique.
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« Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à l’aide de procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, personnels ou non, tissus de la même matière que l’Histoire. Tout autant que La guerre et la Paix, l’œuvre de Proust est la reconstitution d’un passéLe roman historique de 1830 verse, il est vrai, dans le mélo et le feuilleton de cape et d’épée ; pas plus que la sublime Duchesse de Langeais ou l’étonnante Fille aux yeux d’or, Flaubert reconstruit laborieusement le palais d’Hamilcar à l’aide de centaines de petits détails ; c’est de la même façon qu’il procède pour Yonville. De notre temps, le roman historique, ou ce que, par commodité, on consent à nommer tel, ne peut être que plongée dans un temps retrouvé, prise de possession d’un monde intérieur. »
Marguerite Yourcenar.
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Mon frelaut Saladin m’avait jadis historié proverbe que je conservais en tête, jamais bédouin ne fait le dromadaire, mais dromadaire fait le bédouin. Nos palefrois étaient dromadaires sur adreces d’Anjou, fief des Plantagenêts. Ma mesniee s’était vue confiée caparaçon de brocart et d’or pour l’instant où nous pénétrerions Fontevraud. De vêture tabards, nous fûmes ainsi vêtus Tristan et votre serviteur.
– Sublime Aïcha te tire-t-elle par ton haubert que tu parles haut en la langue des mahométans, mon frerot ?
– Gausse-toi Tristan, mais je ne sais pas si la reine Aliénor appréciera telle mesniee, elle qui envoya corlieu en vêture de piedpoudreux !
– Bah ! Icelle reçoit revision de sénéchal du roi franc. Je présume que cela fait un long temps que cestes haridelle n’a point vu fringante mesniee. Selon ton historiage, il me paraît que la corsee en Castille n’était pas aussi flamboyante. Mais trêve de clabaudage ! Je t’avoue que je suis intrigué par cestes demande de revision.
– Et moi donc ! S’il m’arrive de penser à mamm de Richard, c’est quand icelui me vient en tête, qui à Saint-Jean d’Acre, qui en Germanie.
– Qui prêt à te trucider sous aucube !
– Qui prêt à me trucider sous aucube1! Pourtant, j’oublie quand et quand volonté de Richard pour conserver en souvenance mon adoubement. Sans Richard, ar gov à s’t’eure je serais encore.
– Eh bien ! tu vois, tu ne pleures plus ta condition. Richard était cestes qu’icelui voulait bien laisser paraître. Tel jour, Plantagenêt t’accueillait en son châlit prêt à te border si froidure advenait, ou t’administrer en personne potions contre douleurs ou blessures. À l’anjorner qui suivait, icelui dédaignait clabauder avec toi. Ainsi sont les souverains. Et Philippe, par moment, est autre Plantagenêt, à la différence qu’icelui n’a pas de frère prompt à toutes les traîtrises. La reine Adèle a bien pondu ses œufs !
– Tristan !
– Oh, mon roi, pardon ! La reine Adèle de Champagne, mamm de Philippe a fait paotr fort beau et fort sensé, oint de toute vertu !
– C’est à croire mon frerot ! Philippe n’est-il pas en position de force depuis la mort de Richard ? Petit à petit, terres s’agrègent au domaine royal. Notre Armorique est en relative sérénité pour l’instant, et les desseins du Capétien sont désormais clairement normands ! Il m’est à penser que nous serons dans un temps proche à voir Jean quitter pour la vie cestes duché de Normandie.
– Nous verrons, nous verrons ! car nous serons en tête de mesniee lorsque cestes temps viendront.
– En attendant présent jour, nous aurons l’abbaye de Fontevraud à reviser !
Vous voilà beaux seigneurs Villa Justa et Nozay. Eh bien, Guitté, ne faites pas grippeminaud face à la vieille duchesse ! Vous est-il à penser que loin de vos yeux et de vos cœurs je serais dans l’ignorance de vos gestes depuis cestes fort long temps ou nous fûmes à chevauchees de Germanie aux marches de Francia ?
Nous nous inclinâmes face à la duchesse. Icelle, malgré quelques sillons sur son visage était telle que je l’avais vue lorsque nos adreces divergèrent aux marches de la Francie alors qu’avec Tristan nous fuyions terre de l’Empereur pour nous réfugier en terre de Champagne, en cet an de notre Seigneur 1194.
Sept longues années étaient passées. Aux terres gelées de cet an 1194, je n’étais que chevalier de Richard mon maître, et donc d’Aliénor. En mon esprit, à s’t’eure passèrent fugacement mon adoubement des mains d’icelui, et la puissante gifle souveraine sur nuque.
Or, la vie est telle rivière de Rance ; cestes-là rejoint la mer. De ru, icelle grossit, puis appelle autres rus et rivières pour s’unir aux flots impétueux, et tout au long du voiage, draine limonee, richesse de la terre. Richard m’avait connu paotr d’ar gov, Wrmaëlon paotr d’Ael, beschecleu. Je fus capitaine en sa manantie, puis chevalier avant d’être pris dans cestes rets d’Henri le cruel.
Or, je n’ai jamais oublié que Richard voulut me trucider sur adrece de Francie. N’était la protection d’Aliénor, le fil de l’épée de la merdaille angloise aurait percé le pauvre Armel.
Le temps avait égrené son sablier ; à s’t’eure, seigneur de Guitté, de Villa Justa, sénéchal de Francia et son frerot Tristan de Nozay se présentaient en la manantie de la duchesse. S’il entrait en son dessein de n’en point tenir acte, il me revenait de rappeler à noble dame qui étaient les seigneurs en revision.
– Duchesse Aliénor, je…
– Cessez Guitté ! Je vous ai invité à reviser mère de feu Richard. En cestes lieux où mon dernier souffle, mienne agonisacion seront rendus, sans afaiture, ôtez tabards ; il n’est ni reine ni duchesse, il n’est ni sénéchal ni seigneur de Nozay, restons galets et clabaudons en prud’hommes en cestes manantie, car ce qu’il va advenir ne peut être que dires de l’âme et du cœur et non d’ambassadement…
J’étais amuï, Néanmoins, j’ôtais tabart comme le fit Tristan.
– C’est dans cestes jardil de l’abbaye que nous serons à l’aise pour historier et clabauder mes galets. Mes galets ! Voilà qui confinait à devenir sien paotr le temps d’un tour de sablier, et qui sait roi d’Angleterre ?
– De longues années se sont écoulées. Mal heurt et bon heurt sont advenus. Mon fils tant aimé fût trucidé en mes terres d’Aquitaine, et ce fut déchirement en mon cœur de mère. Mon fils Jean est désormais roi des Anglois ; mais je vois que plus le temps s’écoule, plus son royaume voit siennes terres conquises par Philippe de Francie. C’est mal heurt pour royaume d’Angleterre. Mais il m’est bon heur de voir épousailles de mienne petite-fille Blanche et de Louis. J’ai œuvragé pour que cela fut, et cela est. Épousailles sont garantes de consolidation de paix entre les deux royaumes. Voiage en royaume de Castille est éprouvant pour une femme de grand âge. Il est à espérer que cela sera bon heurt pour nos sujets.
– Il est à espérer, espondis-je. Baron et seigneurs que nous sommes ont terres à protéger. C’est dans la paix que messions, glanages, et francherepues sont d’abondance, vin claret et cidre coulent à flots, moutons et cochons sont gras et ont laine abondante, vaches vêlent de bon train, et juments poulinent.
– Certes Guitté, certes ! Je fus emplie également de bon heurt lorsque l’on me fit dire que vous serez demain à la destre de Blanche lorsque l’archevêque Hélie prononcera cestes union.
– …
– Je vous vois embaï. Croyez-vous que toutes choses m’échappent ? Ne soyez point surpris, je le sais de corlieu qui vous aime et qui m’est cher également. Avec Nozay, je ne pouvais espérer meilleurs garde-corps. Je vous félicite d’avoir été choisi parmi comtes et barons. Sachez que je ne serai point présente en l’église de Port Mort, car voiage m’a esrenee ; nouveau voiage m’esmoitirait. Il entre dans ma décision depuis Bordeaux de ne plus quitter cestes abbaye qui m’est manantie.
– Dame Aliénor, présentes paroles sont douces, et je prie Notre Seigneur qu’Il vous entende. À s’t’eure, il m’est à penser que notre revision en prud’homme selon votre volonté, n’est pas que clabauder sur futurs souverains de Francie, et…
– Et ne soyez donc pas impatient seigneur Armel. Trouvez-vous compagnie d’Aliénor si détestable que vous voulez déjà être à corsee pour le champ de Goulet ?
– Certes neo ket dame…
– Alors poursuivons à chanter en latin aux oiseaux, car moult battemarres nichent en cestes lieux. Poursuivons pour un court moment encore, puis j’en serai à historier graves raisons de mon invitation à revision.
– Alors duchesse, puisque galets nous sommes en ces lieux, vous me permettrez que le latin entende que seigneur de Guitté je suis, et donc vassal de Constance, duchesse de Bretagne, comtesse de Richemond…
– Pour l’amour du Ciel Guitté ! Paroles de Breton amène éternelle question de mes liens de détestation avec mienne filastre.
– Et qui seraient, reine Aliénor ?
– Laissez choir reine et duchesse et historier sans y voir offense envers duché de Bretagne, car après que je l’aurai entrepris, vous daignerez alors entendre raison, s’il plaît au vassal de Constance. Je quête donc patience, car un voire deux tours de sablier sont de mise sur toutes paroles à venir !
– Marchons donc pour cestes temps-là !
Ce que nous fîmes, Tristan et Armel en silence, le temps de deux tours sablier.
– Mes galets, vous étiez encore en vos mananties de Bretagne quand Geoffroy, duc de Bretagne rendit son âme à Dieu en la cité de Paris, lors de cestes tournoi fatal. Dolent jeu de Francie ![…]
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Gestes d’Armorique – Les trois souveraines Aliénor d’Aquitaine
Gestes d’Armorique – Arthur de Bretagne Gestes d’Armorique – Les trois souverains