
Nestor Makhno et la Makhnovchtchina
Au total 865 pages
Prise de contact avec les camarades
Premiers essais d’organisation
d’une action révolutionnaire
[…] Dès mon retour, je rencontrais d’anciens camarades du groupe. Ils m’apprirent qu’un grand nombre manquaient à l’appel. Ceux qui vinrent me trouver furent André Séméniouta, le frère d’Alexandre et de Procope, Moïse Kalinitchenko, Philippe Krate, Sava Makhno, les frères Procope et Grégoire Charovsky, Léon Schneider, Pavel Sokrouta, Isidore Liouty, Alexis Martchenko et Pavel Korostélev. Quelques jeunes, adhérents depuis deux ou trois ans, se joignirent à eux. Je ne les connaissais pas, mais ils étaient actifs : ils étudiaient les ouvrages anarchistes et faisaient de la propagande parmi les paysans, en imprimant clandestinement des proclamations. Et combien de paysans et ouvriers, proches des idées libertaires, vinrent me voir également ! Je ne saurais les énumérer, tant ils étaient nombreux. Je ne pouvais, il est vrai, les inclure dans les plans que je faisais pour notre groupe. N’importe, j’avais devant moi mes amis paysans, ces anarchistes ignorés, vaillants lutteurs, ne sachant ni mentir ni tromper. C’étaient de vraies natures paysannes : ils étaient difficiles à convaincre, mais une fois qu’ils avaient saisi l’idée et l’avaient vérifiée par leur propre raisonnement, ils exaltaient ce nouvel idéal partout et à toute occasion […]
***
[…] Vers le matin du 25 mars, lorsque tous les paysans et paysannes venus la veille au soir à la rencontre du ressuscité d’entre les morts, comme ils disaient, nous eurent quittés, les membres du groupe improvisèrent une réunion. À la vérité, je m’y montrai moins ardent : mon exposé n’accorda pas à ces projets la place qu’ils méritaient.
Les camarades furent surpris de m’entendre insister sur la nécessité où nous étions d’étudier de plus près l’état actuel du mouvement anarchiste en Russie. Il souffrait du morcellement dont il s’était accommodé avant la révolution.
« Faute de cohésion, notre tactique se condamne à l’impuissance, dis-je […]
– C’est là, camarades, une de ces questions de tactique que nous serons appelés à étudier dans un avenir proche. Nous aurons à l’approfondir dans tous ses détails, car de sa solution dépendra la nature de notre action.
– Ce point est d’autant plus important pour nous que notre groupe est le seul qui soit demeuré, pendant onze ans, en contact avec la paysannerie. À ma connaissance, il n’en existe plus dans le voisinage. Les groupes anarchistes d’Alexandrovsk et d’Ekaterinoslav ne comptent que peu de survivants, sans qu’on sache au juste où ils se trouvent à l’heure où je vous parle ; les uns seraient à Moscou et on ignore quand ils reviendront, d’autres auraient émigré en Suisse, en France ou en Amérique. Nous ne pouvons donc compter que sur nous-mêmes.
– Si peu étendues que soient nos connaissances de la doctrine anarchiste, il nous faut établir un plan de l’action à mener dans les milieux paysans de Gouliaï-Polié et de la région. Nous devons, sans tarder, commencer à organiser l’union des paysans et mettre à sa tête l’un de nos membres. Par là, nous empêcherons les éléments hostiles à notre idéal politique de s’y implanter. De plus, nous tiendrons l’union constamment informée du cours des événements et parviendrons ainsi à une entente complète entre elle et notre groupe.
– Les paysans pourront alors aborder la réforme agraire et déclarer la terre propriété collective, sans attendre que le gouvernement s’empare d’un problème qui est d’abord le leur. »
***
Organisation de
l’union des paysans de Gouliaï-Polié
[…] Vers le milieu de la semaine, les délégués des paysans se réunirent à l’école pour discuter de l’élection d’un nouveau comité communal. Avec quelques-uns des instituteurs, nous avions préparé un rapport que l’un d’eux, Korpoussenko, devait lire. Ce rapport était bien conçu et rédigé avec soin. Les délégués paysans, après entente avec ceux des ouvriers, présentèrent une motion demandant de nouvelles élections. Répondant au désir des instituteurs Lébédev et Korpoussenko, j’ajoutai quelques mots d’introduction. Les délégués retournèrent vers leurs électeurs pour examiner avec eux la motion et, lorsque ces derniers l’eurent acceptée, on fixa la date du scrutin […]