Gestes d’Armorique – Arthur de Bretagne

Un lexique est publié en fin d’ouvrage pour les quelques mots en vieux français et en breton qui figurent dans cet ouvrage, par ailleurs compréhensibles sans lexique.

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« Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à l’aide de procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, personnels ou non, tissus de la même matière que l’Histoire. Tout autant que La guerre et la Paix, l’œuvre de Proust est la reconstitution d’un passé

Le roman historique de 1830 verse, il est vrai, dans le mélo et le feuilleton de cape et d’épée ; pas plus que la sublime Duchesse de Langeais ou l’étonnante Fille aux yeux d’or, Flaubert reconstruit laborieusement le palais d’Hamilcar à l’aide de centaines de petits détails ; c’est de la même façon qu’il procède pour Yonville. De notre temps, le roman historique, ou ce que, par commodité, on consent à nommer tel, ne peut être que plongée dans un temps retrouvé, prise de possession d’un monde intérieur. »

Marguerite Yourcenar.

Les mémoires d’Hadrien.

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Gestes d’Armorique – Arthur de Bretagne

[…]Le sort des batailles demeurait incertain. Tantôt Richard empli de ruse vainquait, tantôt Philippe chevauchait avec comtes et barons. Mais Richard était bien trop féru en art de guerre, alors que Philippe manquait tant de stratégie sur les champs de bataille. Plantagenêt défendait comme un lion son fief normand. Près du village des Andelys, au lieu dit Ratepont 1 sur les bords de la rivière Andelle, icelle rejoint alors la Seine, Richard avait bâti une forteresse, et la nomma Château-Gaillard. Puissante forteresse était posée sur les terres du Vexin, et dressée sur un éperon de roches et dominait les terres alentour de quarante-six pieds du haut de son donjon, en appui de Montfort. Richard avait tiré sapience de sa geste en Terre sainte, où forts et châteaux préservaient la vie des pèlerins.

Lors de mes corsees au loin de Jérusalem, grâce à mes galets hospitaliers qui en avaient fait manantie j’avais contemplé le Krak des chevaliers. Mon frelaut Balian d’Ibelin me l’avait auparavant tant historié que j’avais conservé en ma tête le moindre détail de château, murs, créneaux et mâchicoulis, ainsi que les chevauchees des chevaliers allant porter aidance aux pèlerins atteints dans leur chair par les mahométans. Il arrivait qu’il me visitât en mes songes nocturnes.

Mais le Krak qui dominait de sa hauteur était en pays syriaque, était bien loin de Jérusalem, et de Francie. Le roi Philippe ne pouvait s’enorgueillir que des conquêtes d’Évreux, des églises près de Tours, ainsi que la capture de Robert comte de Leicester qui après avoir défendu Rouen face à la progression du franc, tenta de reprendre son château de Pacy. Robert fut capturé ; il devait rester emprisonné pendant trois années.

J’avais mis mon épée et ma vie au service du damelot Arthur comme vassal, mais également par c’harantez pour ma suzeraine. Le sachant en danger possible sur la route de Francie occidentalis, j’avais échafaudé grande ruse. Alors que Constance tenait à nous fournir une escorte de vingt gens en armes, j’avais ôté cette idée de sa pensée, et lui soumettais autre dessein.

Aconcevoir Philippe par l’Anjou était un grand risque ; les godons devaient être à l’affût sur les adreces, renseignés par sa merdaille, et de possibles Bretons stipendiés. Richard ne penserait point que ses ennemis pouvaient être à corsee en ses fiefs en Normandie. Mon projet était d’abord de nous en retourner dès le chant du coq dans les terres du vicomte avec comme seul accompagnement Olivier et Tiburce. Forçant nos palefrois, nous serions rendus pour la repue, et dans les jours à venir, en traversant la rivière Couesnon, bien plus en avant vers le Nord, puis du côté où le soleil se lève, par les sentes des garennes, nous côtoierons le château de Falezia 2, et alors près de la cité d’Évreux, nous pourrions rapidement joindre le Parisis.

Alors que dès vesprées je me vouais à organiser le grand contournement, je demandais à mon nouveau galet Nomis de corsee à nuitée à ambassader auprès du roi des Francs pour qu’icelui nous accorde dix quaternies. Icelles pourraient alors nous à la croisée des adreces d’Évreux. Constance était à nouveau de grande réticence. Olivier vint à mon aide ainsi qu’Arthur ; le damelot manifestait encore sa farouche résolution. Rendue à résipiscence, Constance nous donna deux palefrois chacun. À s’t’eure, j’ai la faiblesse de penser que ma vêture de chevalier de Terre sainte fut pour beaucoup dans la décision définitive de la dame.

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À l’anjorner, nous nous étions éloignés de Naoned. Les palefrois de paille autour des sabots avaient été couverts afin que notre partance puisse éviter tout explorateur, tant Anglois avaient pour coutume de résider alentour, nous le savions, et c’était grande crainte de Constance. Après une repue frugale, aux douze coups de l’angélus d’un clocher au loin, nous étions à Guitté. Ma douce Ourken était à la porte de notre manantie, ceinte de mes aotred. Il ne serait venu à personne l’idée de chercher l’héritier du duché de Bretagne dans la manantie d’un petit seigneur breton, alors qu’on guettait le duc à cinquante lieues de là. Comme nous devions abandonner notre logis le lendemain, je demandais à Loig et Tomaz d’être auprès de Tiburce en compaignerons.

Loig s’était suffisamment appliqué à l’épée. Tomaz et ses flèches seraient de grands usages, si nos besoins étaient à venir de basculer un ou deux godons ou quelques malemaisnies dans les nombreuses ornières de Normandie. À s’t’eure, Arthur s’aboucha avec Malo et Lug ; ensemble, ils se livrèrent à des jeux de leur âge. Noblesse, n’exclue point temps d’insouciantes pensées. Je voyais aussi, ne serait-ce qu’un court temps, qu’Arthur ne marquait point de son empreinte sa grande filiation.

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Le coq n’avait point encore chanté que nous étions déjà sur les adreces d’Argentan, cité que j’avais choisi de joindre avant celle d’Évreux, à soixante lieues de la seigneurie de Guitté. J’étais empli de fierté grande et admirais le jeune Arthur qui malgré son frêle corps de damelot, corsait comme un chevalier. Je l’avais bien observé par deux fois alors qu’il versait des larmes, mais il mordait de siennes dents ses lèvres à en saigner, mais restait serrait de grande vaillance. Mes frelauts avaient également remarqué son état, et il nous arrivait d’amener nos palefrois à brides baissées afin d’accoutumer le damelot. Lors de quelques étapes, l’un d’entre nous prenait Arthur entre son avant selle, et lui permettait ainsi de se poser en quiétude. Alors, mes galets jonglaient avec icelui, Tiburce historiait le désert et ses animaux étranges à une bosse, Tomaz tendait son arc sur les oiseaux. Le paotr en oubliait sa fatigue, puis nous repartions aussitôt. Nous dormions la plupart du temps dans une garenne. Chacun de nous prenait la garde fors Arthur qui dormait comme loir en hiver, le nez à plat sur la cuisse de marcassin que la fatigue avait empêché de terminer.

À l’anjorner qui suivit cette nuit où le marcassin avait triomphé d’Arthur, au détour d’une adrece, alors que pointait le clocher d’Argentan, un tourbillon de poussière poignit à l’horizon de notre marche. Moult hommes montés sur palefrois apparurent. Leurs gonfalons claquaient au vent. Iceux venaient à notre encontre. À quelques pas de nous, ils cessèrent leur corsee, puis se rangèrent de chaque côté de l’adrece, laissant la place à Philippe, roi de Francie Occidentalis. Icelui s’approcha à flan de palefroi, puis il saisit le damelot de Constance pour le serrer fort et le couvrir de cent baisers.

– Je suis fort content de vous voir mon jeune neveu.

– Roi Philippe, je vous donne mon salut, je vous rends le salut de ma mère, de la maison de Penthièvre, duchesse de Bretagne, répondit Arthur.

Manifestement, le damelot avait été à bonne écoute des enseignements que lui prodiguait l’abbé Conan, attaché à sa personne depuis les entrailles de la duchesse. Philippe sourit.

– Chevalier Armel, je vous serre sur mon cœur en mon affection. Je suis heureux de revoir le seigneur de Guitté à mes côtés, ce jour d’hui. Allons, ne restons pas à nous apaillardir céans comme ribauds avinés. Nous aurons le long temps dans mon Louvre pour clabauder autour d’une francherepue !

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Avant vesprées, nous étions dans le château du Louvre. Guillaume des Barres nous attendait et me baisa le front comme il aurait pu le faire d’un fils, alors qu’il n’était mon aîné que de cinq années seulement. Pendant qu’un houssepaillier me conduisait dans la chambree qui m’avait été donnée, je lui fis savoir ma volonté de reviser Olier qui aurait déjà dû se trouver chez le chevalier. Hélas ! icelui n’était attendu que le jour suivant. Je n’eus pas long temps pour m’apaillardir, Philippe me demandait déjà à le reviser. Je dus historier le temps passé près de la duchesse, et les dispositions que j’avais prises pour fortifier la défense de la Bretagne. Guillaume me conforta dans ces choix. Philippe se déclara satisfait. Après tous ses revers de fortune, il avait grand contentement d’un prochain rapprochement avec la Bretagne dont la suzeraine, par ses épousailles, n’était autre que la parente de Richard et de Jean ! Je contemplais les yeux royaux et j’avais cru y déceler une fugace lueur de joie. Philippe clabaudait sur les beautés de la Bretagne et du Parisis. Mais, reprenant esprit de souverain, il renvoya tout le monde fors Arthur que je confiais à Tiburce.

– Joignez-vous à moi seigneur de Guitté. Nous allons faire festiage tout notre saoul !

Nous étions restés seuls ; je pensais que Philippe avait secret à me confier, sinon Guillaume et autres comtes se seraient joints à la francherepue.

Je ne me trompais pas.

– Mon galet Guitté, j’ai grande préoccupation. Ce souci est d’homme avant d’être celui de roi, et il m’est venu à penser que vous seriez parfait pour une legation si elle n’était secrète devra rester discrète. Or donc, voici l’objet qui me tourmente : après que la reine Isabelle a rejoint la droite du Seigneur, j’ai pris en épousailles la Frisonne Ingeburge. Hélas ! ce fut déraison, et j’ai voulu annuler icelles. Le pape Célestin refuse, ce jour d’hui, de casser cette union maintenant contre ma volonté. Rome menace de frapper en excommunication mon royaume si je ne me rends pas à résipiscence. Ma volonté me commande de passer outre ; or la sagesse me conseille qu’il me faille demander au pape de revenir sur sa décision. Un ambassadement auprès de Célestin devient de prime urgence. Armel, mon frelaut, chevalier de Terre sainte où vous avez mené moult legations sans faire nuisance à votre réputation, vous irez reviser le pape !

J’avais failli choir sur mon cul tant je fus surpris à écouter telle exigence royale, alors que je n’en étais point le vassal.

– Roi Philippe, ne pensez-vous pas que telle décision mériterait à en clabauder ? Je n’ai point cœur de lièvre à corsees, et être ainsi corlieu du roi, maintenant…

– Maintenant quoi ? dit le roi, soudain empli de fiel, courroux et de rage.

Vous aussi me jugez et donnez raison à Bobone. Vous actez à tous les princes emmitrés et en esquevette ? Notre union est maudite et sera stérile pour la dynastie de mon aïeul, Hugues. Que dois-je dire ? Que l’on m’a forcé en épousailles ? Mais qui êtes-vous donc forgeron pour me faire la leçon ? Oubliez-vous déjà d’où votre extraction est ? Même en mon conseil, des Barres ne me parle point de la sorte ! Estimez-vous heureux d’être en c’harantez avec Nozay, sans quoi je vous ferai jeter en cul de basse-fosse ! Vous vous rendrez donc auprès du pape Célestin dès demain à l’anjorner !

– Roi Philippe, vous êtes dans la science du grand respect que j’ai pour le roi de Francie occidentalis et de sa bénignité pour le damelot de ma suzeraine. Dois-je vous mettre en tête que je suis vassal de la duchesse Constance de Bretagne, et que je ne tiens vassalité que de sa couronne ducale ? Je sers le roi des Francs, car en le servant, je sers ce que je pense être juste et de profit pour le duché venant de la Francie, contre les Plantagenêts qui ont eux aussi voulu m’occire dès que la reine Aliénor aurait eu le dos à d’autres affaires. Qu’en est-il à s’t’eure ? Le roi des Francs m’impose une affaire personnelle et réfute mon refus de corsee en legation. Mais suis-je donc fétu de paille en Parisis ? Si tel était le cas, puis-je me dire que la Bretagne ne ferait que changer le joug d’un Plantagenêt pour un joug capétien ? Dans le même temps de mon dire où je faisais tout ce qui était possible pour ne pas me laisser interrompre, je voyais Philippe se radoucir en son visage. Bien des années après, au moment où je trace ces mots, je suis assuré que l’argument de la vassalisation future de l’Armorique avait dû porter au cœur du Capétien. Mais il me fallait à la fois penser et dire. Je ne pouvais pas finir sur un refus simple. Il me vint en tête une idée.

– Or donc, dis-je, je n’irai à Rome si avant que m’y rendre vous me laissez reviser la reine Ingeburge !

J’attendis le coup de grâce. Il n’en fut rien.

– Vous voilà bien maraud avec le roi des Francs, seigneur de Guitté ! Or, votre jactance ne me fait pas affront. Philippe sait écouter ! Chasse de ta tête mon galet mes sanies que je ne pensais point, mais où mon courroux a dominé la sagesse.

Philippe me parlait comme si j’étais son frelaut.

– Il n’entre pas en mon idée de te jeter dans une oubliette et pardonne à un homme qui n’a que soucis en son cœur, pardonne-lui l’allusion à ton extraction, car tu as depuis de long temps prouvé ta noblesse d’épée et d’esprit. Tu les as conquis par le plus noble des courages, par le sang !

Icelui s’avança alors à moi et me prit dans ses bras pour me donner le baiser des chevaliers.

– Maintenant, si tu accomplis la volonté d’un frelaut cher, avant que te trouver devant Bobone, tu iras reviser la Frisonne, puisque tel est ton dessein. Je n’y ferai point obstacle, même si je trouve que ce temps est perdu d’avance.

Je pense que ta présence auprès du vieillard acariâtre est de plus grande utilité pour ton galet, plutôt que clabauder avec cette engeance du Nord ! Mais ne te laisse point circonvenir par la femme, n’oublie pas que les Frisons sont de grande ruse, toujours prompts à lancer leur hache dans le crâne des naïfs inattentifs à leur sombre volonté.

Philippe savait obtenir ce dont il désirait. Mais quelle charge contre la reine !

– L’engeance de Valdemar est en Flandre à l’abbaye de saint Calixte en la cité de Cysoing. Quant à Célestin, icelui n’est point à Rome. Il fait retraite à Yenne, dans le comté de Savoie, et ses dévotions à l’abbaye de Hautecombe, dans le fief du comte Thomas.

– Roi Philippe, voulez-vous que ma legation aboutisse ?

Je ne m’étais point départi du vous de majesté que je devais à un souverain.

– Faites revenir la reine en Parisis, le pape sera magnanime.

– Voilà que vous ordonnez au roi des Francs, maintenant !

– Neo ket, roue Philippe, diplomatiezh dizarbenn !

J’avais exprimé ma fureur en langue de mes aïeux. Cela eut effet de changer langue de nouveau montante de Philippe en un rire de bon gautier qu’il eut après un moment d’incompréhension.

– C’est de l’ambassadement en prévention, roi Philippe, rectifiais-je.

– Jamais la Frisonne ne mettra un pied en Parisis de mon vivant. Je m’en vais quérir la parole de l’évêque Maurice. Quant à vous, Guitté, je ne vous retiens pas à ma table ! allez, nous nous reverrons !

Je m’étais retiré, me jugeant boursemolle devant la force du Capétien. Guillaume faisait le guet dans ma chambree. Tiburce clabaudait avec le chevalier de notre œuvrage en fortification du duché de Bretagne. Les deux galets me montrèrent contentement de me voir enfin.

– Messire Guillaume, comme je suis heureux à s’t’eure de voir un visage ami avec qui parler ! Je me suis pris de bec avec le roi qui vient de commander de m’en aller en legation auprès de pape Célestin, à s’t’eure, en comté de Savoie.

– Philippe vous a forcé à entendre sur la reine qu’il a outragée ! Je vous brasse volontiers, mon frelaut, vous vous êtes montré digne de votre serment en Terre sainte en réfutant les paroles de notre souverain. Philippe se trompe et il a grand tort d’affronter le pape Célestin. Sa Sainteté, malgré son très grand âge, a en son temps excommunié l’empereur Henri alors qu’icelui vous retenait en otage en Germanie et pour ce dol.

Il n’aura pas le cœur de lièvre à excommunier le roi des Francs. Quoiqu’en dise la malemaisnie alentour, pour complaire au roi, la reine Ingeburge ne fut jamais dévergondée. Sa réclusion en Flandre, où elle souffre mille tourments déplorables, n’honore pas le roi. Tenez front à Philippe ! Il ne vous en tiendra pas rigueur, car une fois entêtement passé, le roi peut être empli de sagesse, bien que j’en eusse doutance, ce jour d’hui, tant la reine est sujette à ses occupations. Parlez au roi de votre accompagnement de l’héritier de Bretagne et son nécessaire retour auprès de la duchesse Constance. Et puis, il vous prendra en ses bras et vous dispensera mille baisers.

– Et si Philippe refuse, que devrais-je faire seigneur Guillaume ?

– Tenez tête et répondez au roi que votre volonté est d’aller par-devant la reine en Flandre où vous vous déclarerez prêt après votre retour en Bretagne. Puis, vous vous en irez chez le comte de Savoie, si vous chaut !

Les paroles de Guillaume étaient de grande sagesse. Je le priais d’être mon légat auprès du roi, lorsque je m’en serai retourné en Bretagne. Le chevalier sur le champ me dissuada.– Vous ne pourrez vous en retourner demain, chevalier, le filleul de Constance est trop débile à s’t’eure et a grande nécessité à se reposer. Maintenant, il est temps pour vous et moi de partager francherepue, puisque le roi a voulu vous affamer, en ne vous retenant pas à sa tablée. Venez avec votre mesniee partager volailles et cochonnailles tenues en caves étés et hivers.

Je suivis des Barres en sa manantie ; Tiburce, Loig et Tomaz étaient de la mesniee. Olier était aussi céans ; or point de Tristan. Mon visage dut faire masque, car Olier s’approcha de moi, et me signifia discrètement qu’il voulait me réchauffer le cœur de nouvelles dans ma chambree après la repue.

Toute la vesprée, nous avions bien clabaudé avec Guillaume et nos écuyers qui furent aussi de conseils. Claret et hypocras ne manquèrent point, et je regagnais ma chambree, la tête emplie de brumes, telle notre lande armoricaine au chant du coq.

Mais je fus vite dégrisé, et ma tête retrouva l’adrece des pas droits. Olier était venu à moi peu après avait ouvert son bec.

– Seigneur Armel, le baron Tristan, mon maître, est vif, à s’t’eure ! Mais je crains pour sa vie. Le roi Philippe lui a demandé d’être son explorateur en Anjou, dans le palis de la malemaisnie angloise. Il veut être enseigné quant à l’art de Richard pour les batailles à venir.

Hélas ! si le seigneur Tristan est pris sur le fait, Richard le trucidera sans répit. Depuis le département de mon maître, je cherche à savoir et point ne le peux !

– Mon galet, Tristan est de grande vaillance et sa sapience de la ruse affirmée sur le champ d’honneur lui sera de grand secours. Il ne sera ni pris ni trucidé. Le roi Philippe a choisi le meilleur des chevaliers comme explorateur.

Mon visage riotait ; mon âme s’assombrissait. Olier était empli de raisons, et Tristan à s’t’eure était peut-être éviscéré. Je fis serment en ma tête qu’à l’anjorner, je forcerai le roi Philippe à m’écouter. Olier se retira. Tiburce était depuis moult années à me servir, à se rendre proche, à prévenir mes moindres souhaits me connaissait comme si nous avions été mis au monde le même jour. Il me réchauffa le cœur de douces paroles puis m’invita alors à dormir, car selon sa sagesse, nuit et sommeil étaient mère et père de bons conseils.

***

À l’anjorner, je m’étais levé empli d’une ferme résolution. J’avais compris les hommes que j’aimais. Le retour en Armorique, en Naoned, était la plus courte adrece pour avoir à œuvrer en Anjou. J’allais reviser le roi et lui faisais savoir mon contentement. Philippe avait visage grave. Mais, avait-il aussi eu nuit et sommeil de bons conseils qu’il m’accorda son acquiescement à notre département en Bretagne ? Guillaume était-il venu en plaider ma raison ? Philippe avait-il entendu l’inanité d’un tel ambassadement auprès d’un pape cacochyme certes, mais au cerveau vif ? Le temps n’était point à s’apaillardir. Si le roi Philippe se ravisait, le jeune Arthur resterait otage en Parisis, et la duchesse Constance serait encline à me demander raison et vouloir à son tour me trucider ! Je commandais à Tiburce et à Olier d’apprêter Arthur, et à Tomaz de veiller sur nos six palefrois frottés à la bousche. Hélas ! le roi me fit mander par un valet. Je devais le reviser en son conseil sans plus attendre.

– Guitté, point ne reviens sur mon engagement. Retournez en Bretagne avec Arthur. Dites à Constance que j’ai eu grande joie à clabauder avec icelui, et que je lui donne mon affection à tout jamais. Vous lui conterez aussi que je lui conserve ma protection pour toutes nécessités à venir.

Allez donc ! Or ce n’est pas sans déchirement du cœur que je vous cède. Vous me manquerez, comme frelaut ![…]

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Arthur de Bretagne

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